Avons-nous vraiment besoin de l'obsolescence programmée ?

Pourquoi réparer ? | Damien Ravé — Le 08 Juil 2011 - 18h47

L'obsolescence programmée des biens de consommation déclenche des réactions contradictoires. D'un côté, beaucoup se scandalisent de cette "arnaque" organisée, accusent l'industrie de nous prendre pour des vaches à lait et de démultiplier notre empreinte écologique pour leur seul profit. De l'autre, certains défendent ce renouvellement perpétuel - ou s'y résignent - car il serait vital pour l'économie.

Dans nos sociétés de croissance, en effet, la bonne marche de l'économie repose sur une consommation toujours entretenue de biens et de services : la consommation génère des profits et des revenus aux travailleurs, stimule la productivité et l'innovation, réduit les coûts. Le coût d'un ordinateur neuf baisse ainsi d'année en année, et des modèles plus performants sont accessibles pour une bouchée de pain : à la première panne, on sera forcément gagnant à le remplacer plutôt qu'à chercher à le faire vivre plus longtemps.

Des bienfaits contestables

Bref, tout le monde semble y gagner, à quelques exceptions près. D'abord, ce qui est vrai de l'informatique ne l'est pas forcément de l'électroménager "blanc" : si votre frigo acheté 300 euros tombe en panne au bout de 4 ans, il va vous en coûter à peu près le même prix pour le remplacer. Et le nouveau modèle ne sera pas nécessairement plus efficace. Dans l'habillement, c'est encore plus subtil, car la mode intervient. Si les coutures de votre sac à main lâchent au bout de trois semaines, vous pourrez y voir, selon que vous êtes une fashion-victim fortunée ou non, une occasion inespérée de faire les boutiques ou une énième duperie de l'industrie de la maroquinerie.

Surtout, l'obsolescence programmée risque de devenir de plus en plus écologiquement incorrecte à mesure que l'on s'inquiète de la raréfaction des ressources : les réserves de pétrole s'amenuisent, de même que les ressources de minerai de fer, de cuivre et de métaux précieux. A moins de trouver des substituts à l'ensemble de ces ressources, il faudra bien à un moment mettre un frein à la frénésie de consommation qu'entraîne l'obsolescence programmée.

A l'autre bout de la chaîne, nous jetons des biens usagés qui seront au mieux partiellement recyclés, au pire incinérés en produisant des dioxines ou autres polluants cancérogènes. Les constituants de haute qualité qui entrent dans la fabrication des produits industriels (alliages de métaux, polymères) sont irrécupérables et ne se recyclent que partiellement et en produits de moindre qualité, perdant une grande partie de leurs propriétés. Ne pourrait-on pas éviter ce gâchis sans ruiner nos économies ?

Comment sauver l'économie ?

Des pistes pour sauver l'économie d'un effondrement brutal existent, avec une exigence plus ou moins grande vis-à-vis des consommateurs, des industriels et des pouvoirs publics.

1/ Réduire volontairement l'économie

Certains proposent une décroissance de l'économie : les citoyens pourraient faire le choix délibéré de limiter leur appétit vorace de consommation pour y substituer des gratifications moins néfastes pour l'environnement. En clair, passer ses week-ends en famille ou entre amis, à faire du vélo ou encore à jardiner plutôt qu'à faire les magasins pour acheter des bricoles inutiles. Ce changement de mode de vie est jugé rétrograde et rencontre des résistances très fortes à ce jour. Pourtant, des études psycho-sociales tendent à prouver que ces activités apportent un réel bien-être à ceux qui les pratiquent, à l'opposé de l'angoisse et de la dépression de nos sociétés.

2/ Promouvoir une économie de fonctionnalité

D'autres proposent de changer la manière dont nous consommons les biens : au lieu d'acheter des objets que nous jetons au bout de quelques années, nous pourrions louer aux entreprises un service équivalent, peu importe les biens matériels. Au lieu d'acheter du fioul, un climatiseur ou des matériaux d'isolation, on paierait une entreprise pour nous assurer une température confortable quelle que soit la saison. L'avantage, c'est que l'industriel chargé de ce service aura tout intérêt à proposer des matériels durables et économes, pour ne pas avoir à les dépanner ou les remplacer.

Cette "économie de fonctionnalité" est encore théorique et peu d'opérateurs sont lancés dans cette démarche. On peut imaginer que les résistances les plus vives se trouveront du côté des consommateurs eux-mêmes, qui seront tenus de payer des abonnements récurrents aux fournisseurs. Mais c'est surtout une question de mentalité : si "acheter" un produit donne l'illusion d'être indépendant du fabricant, on ne fait que louer son usage pendant quelques années, jusqu'à la panne. Et si l'on l'a acheté à crédit, on est prêt à verser des mensualités pour bénéficier de ce "service".

3/ Concevoir les objets de consommation selon une logique "berceau-à-berceau"

Une troisième voie, complémentaire de la seconde, consiste à modifier le cycle de vie des produits depuis leur conception pour que tous les matériaux qui les constituent soient réutilisables, soit pour produire de nouveaux biens, soit pour enrichir la nature (par compostage, par exemple). Alors que nos produits vont du "berceau au tombeau", cette démarche veut y substituer une logique cyclique de "berceau à berceau". Ce concept a été théorisé dans un livre de 2002, Cradle to Cradle, qui a eu un vaste succès international et qui vient juste d'être traduit en français. Il fait reposer le changement sur les industriels, d'où le label que les auteurs du livre ont élaboré pour valoriser leur démarche. L'avantage de cette logique - ce qui peut la rendre plus séduisante aux yeux des adeptes de la croissance -, c'est qu'elle ne nécessite pas de remettre en cause la consommation.

Conclusion

Si les idées pour dépasser l'épuisement des ressources physiques et limiter nos déchets sont encore à leur balbutiement, c'est que la thématique ne fait sérieusement l'objet de recherches que depuis une dizaine d'années. Leur mise en application passera probablement par des exemples porteurs ou par des incitations politiques. Mais c'est aux citoyens mobilisés qu'il revient de faire connaître ces alternatives. Alors faites passer le message !

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